Interview
"Le Petit Poucet, c'est moi !", interview de Marie Caudry et Christophe Mauri
Marie Caudry et Christophe Mauri ont répondu à quelques questions que nous nous posions à propos de leur dernier album, "Le Petit Poucet, c'est moi !". Ils reviennent pour nous sur leurs inspirations, le processus d'écriture et d'illustration, et le bonheur qu'ils ont eu à travailler ensemble sur ce projet.
Quel a été votre sentiment quand vous avez découvert la réinterprétation du Petit Poucet par Christophe ?
Marie Caudry : J'ai été ravie de découvrir le texte de Christophe, je l'ai trouvé subtil, malicieux et légèrement mélancolique. Le détournement de conte est un exercice couru dans la littérature jeunesse, mais il est rarement conçu avec autant de grâce ! C'est un plaisir immense pour un illustrateur de pouvoir dialoguer avec un texte de cette qualité. Et un défi stimulant, de réaliser des dessins à la fois tendres et grinçants.
De plus, la forme épistolaire demande une lecture active et imaginative. Les lettres sont pleines de sous-entendus qui traduisent les points de vues des deux personnages. C'est au jeune lecteur d'imaginer ce qui se passe entre chaque lettre, laissant aussi une bonne place à l'illustratrice (assez bavarde) que je suis.
Vous nous présentez un Ogre bien original : perruqué et bagué à chaque doigt, il est plus proche de Louis XIV que d’Hagrid ! Comment vous est venue cette idée de donner une allure si décalée à l’Ogre ?
Marie Caudry : Il a fallu en effet trouver une représentation d'Ogre qui ne reprenne pas un standard. Je suis donc partie, tout simplement, de représentations de Charles Perrault, portraituré avec sa perruque - et son double menton, qui a si bien retranscrit les contes issus de la tradition orale. J'ai trouvé comique de combiner ce côté coquet et raffiné avec un aspect balourd. Outre sa corpulence, la richesse des habits de l'Ogre évoque l'opulence, par contraste avec le dénuement du pauvre Petit Poucet.
L’univers visuel de l’album fait très XVIIe siècle : gravures, estampes, toiles de Jouy, accoutrement des personnages… Comment imaginez-vous les décors et l’ambiance des albums que vous illustrez ?
Marie Caudry : C'est justement à partir de cette représentation de l'Ogre que l'univers a pu se déployer. Inscrire l'histoire dans une époque permettait aussi de glisser des anachronismes qui faisaient aussi écho à ce ressort comique du texte de Christophe.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez découvert le visage donné à l’Ogre et au Petit Poucet par Marie Caudry ?
Christophe Mauri : Ma réaction ? Un vrai bonheur… et un apaisement ! Un apaisement car la confrontation des imaginaires entre auteur et illustrateur est parfois une rude épreuve.
Mais dès que j’ai vu la première étape du travail de Marie, j’ai été émerveillé. Une autre aventure commençait. Poucet, l’ogre, leurs chaumières, le lac Mon beau miroir n’étaient plus à moi : ils existaient désormais en dehors de la seule écriture, qu’ils ont immédiatement nourrie. Alors j’ai attendu, semaine après semaine, chaque nouvelle image avec impatience !
Après Je veux manger un lion où il était question d’un duo père-fils d’ogres, vous remettez le couvert avec les ogres : qu’est-ce qui vous fascine dans ces créatures ?
Christophe Mauri : Les grands méchants de la littérature de jeunesse amènent avec eux un patrimoine de méchancetés et de saveurs ; c’est un plaisir de les cuisiner !
Mais avec l’ogre de Poucet, c’est autre chose. Il a une affection sincère pour Poucet, et je crois que bientôt, il voudrait de tout cœur cesser d’être un ogre… pour ne pas risquer de croquer son seul ami !
Vous vous êtes attelé avec beaucoup d’humour et d’imagination à la réécriture d’un conte connu de tous, ce que vous aviez déjà fait avec Les saisons de Peter Pan : en quoi cet exercice vous plait-il tant ?
Christophe Mauri : Écrire un nouveau roman est une aventure totale, extraordinaire, qui peut durer des années. Je ne choisis jamais un sujet : je le cherche. Entre la fin d’un roman et le début d’un autre, il y a dix projets qui n’aboutissent pas. J’essaie, je confronte les idées au papier, j’attends une envie qui écarte toutes les autres. Ça a été le cas pour Peter et Poucet. Le fait que j’ai inventé ou non ces personnages, curieusement, je n’y pense même plus à ce stade !