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MAMAS, petit précis de déconstruction de l'instinct maternel par Lili Sohn
À 7 ans, c’est sûr, Lili Sohn voulait beaucoup d’enfants ! Mais c’est seulement après son cancer du sein, quand on lui a annoncé que la chimio pouvait rendre stérile que lui est venue l’envie viscérale d’avoir un bébé. « Est-ce que cette réaction est normale ? Y a-t-il d’ailleurs une norme ? ».
Dans ce Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel, la dessinatrice avec ses cheveux violets et ses lunettes roses tient à jour son carnet de bord depuis sa grossesse, et passent en revue tout ce qui approche biologiquement ou sociologiquement de la parentalité. Une synthèse jubilatoire pour passer à la loupe tous les préjugés.
En 2014, la jeune femme n’a que 29 ans quand elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Pour répondre au besoin de comprendre ce qui lui arrive, elle ouvre un blog avant de publier La Guerre des tétons en trois tomes sur l’expérience de sa maladie. Dans le pétillant Vagin Tonic publié l’an dernier, elle servait un cocktail explosif sur les idées reçues autour de l’identité féminine. Dans Mamas, elle confronte son désir d’enfant et ses convictions féministes.
En quoi la maladie a-t-elle aidé à forger ton engagement féministe ?
Se retrouver en position de malade m’a fait brutalement sortir de mon moule et obligée à tout remettre en perspective. J’ai pris conscience de la réalité des normes sociales à partir de ce moment-là : les injonctions sur la femme, sur son corps, les assignations sociales de la mère, de la conjointe…
Autant Vagin Tonic initiait à la découverte libérée du corps, autant Mamas interroge sur la tension entre féminisme et maternité ?
Pour Mamas, je me suis retrouvée après mon cancer avec une envie irrépressible d’avoir un enfant sans savoir pourquoi, et en même temps, j’en avais très peur. Les féministes de la deuxième vague, c’est-à-dire celle d’après les suffragettes, la génération des Simone de Beauvoir, Adrienne Rich ou encore Elisabeth Badinter ne parlent jamais positivement de maternité. Je suis tombée enceinte assez rapidement et je me suis vraiment retrouvée à me demander ce que je faisais. Ce livre a accompagné mes questionnements.
Tu cites Simone de Beauvoir qui parle de la maternité comme d’un « drôle de piège », c’est ce que tu ressens ?
C’est vraiment le mot. Avec un désir d’enfant, tu te sens en porte-à-faux et à contre-courant de l’émancipation féministe. Les codes du patriarcat se resserrent dans la case « mère ». Emma a déjà beaucoup parlé de charge mentale. Moi, j’ai découvert en même temps que j’écrivais la charge féminine qu’on associe à la parentalité. Quand on le vit, ça prend un tout autre sens. Au fur et à mesure, je me rendais compte des manipulations, toutes ces mises en place sociétales pour que la maternité soit exclusivement féminine, bien avant d’avoir des enfants. Un bébé se fait à deux et ce n’est pas parce qu’on est la mère qu’on a plus de capacité ou de responsabilité. Méthodiquement, j’introduis la différence entre parent et géniteur, ce qui me conduit à explorer d’autres situations : en Islande, l’égalité du congé parentalité pour les hommes et les femmes, les possibilités pour les couples homosexuels. De la grossesse à la G.P.A., tout est à repenser en commençant par déconstruire cette idée reçue d’instinct maternel, le cliché selon lequel la mère serait la personne la plus importante dans la vie d’un enfant.
L’humour vient en renfort entre les dialogues triviaux et le détournement des gravures anciennes ?
J’adore ces gravures. Je les pioche dans toute une collection de vieux livres que j’ai dégotés au Canada. Quel bonheur de travailler avec ce fonds libre de droit ! À force de pratiquer, mon style s’améliore. Je suis graphiste à l’origine et j’ai beaucoup aimé la première génération de blogueurs : Kek, Boulet, Pénélope Bagieu, Marion Montaigne... Aujourd’hui je lis Leslie Plée, Julia Wertz et Liv Strömquist. Pour moi, il faut que ça reste simple, drôle et entraînant avec le plus de couleurs possibles. J’aborde des sujets difficiles, des tabous, autant le cancer que le corps de la femme. Il faut faire passer la pilule avec du pétillant, du rigolo et surtout, aller droit au but.
Tu recueilles aussi de nombreux témoignages, quelle place ont-ils dans tes recherches ?
À chaque fois, j’ai l’impression de faire comme des mini-thèses. Je me nourris de lecture mais je préfère toujours travailler avec de vraies gens. Le blog sur le cancer a très rapidement eu une visibilité, et j’ai pu rencontrer des chercheurs, discuter plus facilement avec les médecins. Pour Vagin Tonic et Mamas, les gens sont presque venus d’eux-mêmes, entre ceux que j’ai croisés, comme Sofia, la copine d’une copine qui avait été malade comme moi ou encore les gens qui témoignent sur les réseaux sociaux. Il y a aussi Manon la chercheuse du CNRS, qui m’a contactée parce qu’elle faisait une thèse sur la parentalité après le cancer. Un cadeau de la providence, elle arrivait pile au bon moment pour moi, sans oublier Vincent et Grégory aux États-Unis. Tous ces points de vue élargissent la réflexion sur d’autres questionnements, d’autres parcours, de belles histoires d’amour qui viennent égayer les sujets sérieux.
À qui s’adressent tes livres ?
Il y a ceux qui me suivent depuis le début. Pendant les séances de dédicaces de Vagin Tonic, j’ai retrouvé de nombreuses personnes qui m’ont accompagnées dans la maladie et qui m’accompagnent toujours dans mes questionnements. C’est formidable de se connaître et de pouvoir emmener les gens avec soi. Un nouveau lectorat plus féministe s’est rajouté à ce noyau, majoritairement des femmes entre 25 et 35 ans. Avec les réseaux sociaux, je touche aussi plus de personnes, sur un éventail plus large. Après Mamas, je commence aujourd’hui un nouveau bouquin sur l’acceptation de la pilosité féminine. À voir qui me suit sur ces terrains-là.